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vendredi 15 janvier 2010

La condition de HMAR au Maroc est certainement la pire condition que l'animal puisse enduré.

C’est l'histoire d'un âne qui s'en va voir un passeur de pateras et lui demande de l'embarquer. “Je vous paierai ce que vous voulez” lui dit-il. Le passeur, tordu de rire, lui répond : “Mais voyons ! En quoi ça changera ta vie ? Tu n'es qu'un âne”. Alors l'âne, hors de lui, renchérit : “C'est justement pour ça que je me tire. J'en ai marre de me faire traiter de hmar à longueur de journée, d'être la risée de tous alors que je suis la plus laborieuse de toutes les bêtes. S'il vous plaît, ne me laissez pas ici”. Et le passeur, attendri parce qu'il ne connaît que trop bien la réalité, accepte de le faire hreg (passer clandestinement). Ce n'est jamais qu'une blague. Mais imaginons un instant que les ânes de ce pays aient la possibilité et décident “d'immigrer”. Que des associations de défense des droits des bourricots s'en mêlent. Et il y en a un tas de l'autre côté de la Méditerranée. Du coup, la blague prendrait, sans exagération, l'allure d'une catastrophe nationale. Petit exercice de mathématiques pour comprendre.
Le Maroc compte, d'après les statistiques du ministère de l'Agriculture (chiffres de l'année 2000), plus d’un million d’ânes. Soit un âne pour 30 Marocains. Parallèlement, le Maroc compte moins de deux millions de véhicules dont 1,3 million dits de tourisme. La comparaison âne /véhicule nous permet de conclure qu'il y a presque deux fois moins d'ânes que de véhicules. Soit. Mais si on analyse la répartition des ânes et des voitures sur le territoire, il s'avère que notre quadrupède est plus démocratique que la voiture et qu'il ne fait pas de discrimination territoriale. Il est d'ailleurs le premier (le seul) moyen de transport dans ce qu'on appelle communément le “Maroc inutile”. Et des qualités, il n'en manque pas. Il est prudent : s'il s'obstine à ne pas avancer, c'est qu'il analyse le problème qui se présente sur la route, ce qu'une voiture est incapable de faire. Il est propre : nul besoin de le nettoyer. Ce qui n'est le cas ni des chevaux, ni des chiens, ni des voitures. Il est peu polluant : ses excréments sont bio-dégradables. Il est laborieux, patient, endurant et extrêmement intelligent. Et avec tout ça, c'est lui qu'on érige en exemple de stupidité. Quelle injustice !
D'après les recherches du CNRS, c'est en Afrique du Nord Est (Egypte, Soudan, Somalie, Ethiopie ) que l'âne a d'abord été domestiqué avant de “conquérir” tout le continent puis les autres. C'était il y a 5000 ans. La désertification s’accentuant, les populations ont dû se déplacer régulièrement à la recherche de sources d'eau et de verdure pour les animaux, ce qui les a incitées à domestiquer de nouveaux animaux, l'âne en premier. Aujourd'hui, on ne peut pas dire que cela ait vraiment changé. Dans les montagnes du Rif central comme dans le sud du pays, il est encore le seul lien des populations avec la “vie”, avec la civilisation en gros. Il transporte les personnes et les biens. Il est générateur de gains, au quotidien. Autrement dit, c'est un agent économique à part entière, une association de développement local à lui tout seul. Partant de là, se voir traiter de hmar serait plus un compliment, une reconnaissance, qu'une insulte. Et pourtant…
Il y a quelques jours, dans les colonnes d'Al Ayam, on rapportait que Hassan II, emprisonnant Abderrahim Bouabid à Missour, s'est vanté de l'avoir envoyé à l'ombre “au pays des ânes”, cette localité abritant le plus grand marché d' ânes du Maroc. Sur ce, les amis de feu Bouabid se sont vexés. C'est une insulte à la mémoire du leader, a-t-on dit. Sans blague, Messieurs ?! On se demande ce que cette même élite politique penserait en apprenant que parmi les appellations anciennes de l’âne, on trouve “ministre” (du latin minister qui veut dire serviteur) et que cela n'avait aucune connotation péjorative. Demanderaient-ils à le retirer du dictionnaire ? Et par là-même, iraient-ils demander au Parti démocrate américain de changer de symbole ? Parce que l'âne est le symbole des démocrates américains, au cas où certains d'entre eux l'ignoreraient. Remontons plus loin dans l'histoire. Il y en a eu des dizaines d'ânes célèbres et aimés. Des héros comme l'âne Murphy durant la première guerre mondiale. L'âne de Santos Dumont qui l'aida à tester son premier engin volant, L'âne de Joha, l’âne Cadichon, celui de Sancho Pança, le compagnon d'aventure de Don Quichotte de la Manche. Et la liste est longue. Dans notre littérature, l'âne n'a pas manqué à l'appel. Il a longtemps été la “muse” de Driss Chraïbi et le personnage fétiche de ses livres pour enfants est “l'âne Khal”. Il a inspiré d'autres écrivains comme Soumya Zahy ou encore des cinéastes comme Nabyl Lahlou, qui en fait le premier des résistants dans L'âme qui brait, et puis Driss Chouika qui lui donne le rôle principal… Et pourtant.
Mépris, humiliation, mauvais traitements, les Marocains sont passés maîtres dans la “torture” des ânes, aujourd'hui comme il y a 100 ans. Sous le protectorat, excédé par la cruauté des Marocains à l'égard des bêtes de somme, le grand vizir a dû faire émettre une circulaire, adressée au Pacha de Fès pour exiger la poursuite de toute personne coupable d'un fait de ce genre. Et la sanction pouvait aller de la simple amende à l'emprisonnement. Au lendemain de l'indépendance, la SPA (Société de protection des animaux) a créé une section marocaine, la SPANA qui, aujourd'hui encore, s'occupe autant des ânes que des chevaux de race. Mais la SPANA ne peut s'occuper que de ce qui vient à elle. Du reste, à Casablanca même, il n'est pas rare de tomber sur des carcasses d'âne pourrissant à l'air libre, à la décharge publique de Médiouna par exemple.
Conclusion : s'il y a quelque chose à lui reprocher, ce n'est pas d'être ce qu'il est, mais de servir des ingrats. Et partant de là, lui rendre hommage officiel ne serait pas une lubie. Comment ? En lui dressant une statue à Missour, capitale des ânes ? En instaurant une Journée nationale de l'âne ? En en faisant un atout touristique (les touristes raffolent des randonnées à dos d'âne) ? Mais avant tout ça, commencer par cesser de penser que hmar (âne) est une insulte. Qu'en dites-vous, Messieurs les ministres ?

2 commentaires:

  1. Bonsoir
    très intéressant votre article mais bon l'âne, les cèdres, les plastiques etc....Et puis tout le reste encore!!! Au Maroc l'écologie, la protection des animaux ,de l'environnement n'est pas une affaire de première ordre..Il y a bien une charte depuis mars 2010..Juste pour se donner bonne conscience et rien d'autre rien n'est fait. 3 ans au Maroc , on essaye de faire bouger les choses!!!!!!!!!! mais en vain....

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  2. Un âne m'attendrit toujours... Celui du Maroc plus spécialement. Il fait partie intégrante de mon enfance dans ce pays... L'âne.... L'animal qui semble le plus résigné au monde...

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